Nitrogênio em Simondon (2005 [1958])
Dans l’individu, il est une forme d’énergie qui est à la fois rien et tout, et qui fait l ‘homogénéité du domaine individuel par l’homogénéité de son schématisme: la volonté, faible chez Senancour, forte chez les héros de Stendhal, est ce qui introduit un schématisme commun en toutes situations et tous domaines; c’est la volonté qui amène l’âme de Faust, desséchée par le savoir, à atteindre par l’art magique les puissances suprêmes de la nature, les Mères, et d’opérer toute transmutation; le sentiment et le rêve sont les terrains féconds d’où naît la volonté. Sous la forme de l’orgueil messianique des inventeurs de système, dans la ferveur du traditionaliste, dans la découverte d’une foi nouvelle comme dans le désespoir et la résignation, il y a comme schème de base la volonté toujours homogène par rapport à elle-même, mais infiniment diverse dans ses situations et ses manifestations. La volonté est ce qui rattache l’être individuel au monde et à l’histoire; elle est ce qui peut devenir tout acte et engendrer tout sentiment; elle fait la continuité interne et la cohérence de l’individu comme elle établit sa liaison de causalité réciproque avec le monde social et le devenir historique: l’individu est un élément de volonté dans un ensemble de champs de forces. Malgré le mot de Balzac, c’est une physique plus qu’une chimie des caractères que le XIXe siècle a voulu faire; ce n’est une chimie qu’au sens où l’entend Balzac lorsqu’avec Balthazar Claes il veut découvrir dans l’azote l’origine de toute vie et de toute énergie dans la Recherche de l’Absolu. Cette volonté élémentaire de l’individu cherche à rencontrer dans le monde une volonté plus vaste et plus puissante, celle d’un fatum historique, d’une loi immanente qui se joue des résistances. L’individu n’est pas le centre d’une décision mais d’une adhésion, d’une initiative mais d’une rencontre; il ne pose pas par lui-même le réel; il s’y associe pendant qu’il se fait, lorsqu’il a découvert le sens de cette volonté immanente au réel; on a dit que cette époque était celle du sentiment; en réalité, il n ‘y a pas de distinction entre le sentiment et la volonté d’ adhésion, car le sentiment est la force prophétique qui fait apparaître le sens du devenir: pour la volonté qui précède et assume la décision, c’est la connaissance intellectuelle analytique qui convient; mais pour la volonté qui cherche l’assentiment, c’est l’intuition affective qui oriente l’être dans ce champ de forces qu’est le monde. Bonald, Joseph de Maistre, Auguste Comte, Saint-Simon, Fourier sont portés par l’intuition affective dans le sens du fatum auquel s’unit leur volonté. (Simondon 2005 [1958]:505)
SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.