Chumbo em Simondon (2005 [1958])
Or, si l’existence d’oscillations véritables dans des systèmes physiques peut permettre de définir comme énergies potentielles équivalentes par leur forme des énergies qui peuvent être soumises à des transformations réversibles et sont ainsi susceptibles d’être égales par leur quantité, il existe aussi des systèmes dans lesquels une irréversibilité des transformations manifeste une différence d’ordre entre les énergies potentielles. La plus connue des irréversibilités est celle qu’illustrent les recherches de la Thermodynamique et que le second principe de cette science (principe de Carnot-Clausius) énonce pour les transformations successives d’un système fermé. Selon ce principe, l’entropie d’un système fermé augmente au cours des transformations successives [Sauf dans le cas particulier idéal de transformations entièrement réversibles, où l’entropie reste constante.]. La théorie du rendement théorique maximum des moteurs thermiques est conforme à ce principe, et le vérifie, dans la mesure où une théorie peut être validée par la fécondité des conséquences qu’on en tire. Mais cette irréversibilité des transformations de l’énergie mécanique en énergie calorifique n’est peut-être pas la seule qui existe. De plus, l’aspect apparemment hiérarchique impliqué dans ce rapport d’une forme noble à une forme dégradée de l’énergie risque de voiler la nature même de cette irréversibilité. Nous avons ici affaire à un changement de l’ordre de grandeur et du nombre des systèmes dans lesquels existe cette énergie; en fait, l’énergie peut ne pas changer de nature, et changer pourtant d’ordre; c’est ce qui se passe lorsque l’énergie cinétique d’un corps en mouvement se transforme en chaleur, comme dans l’exemple souvent employé en physique de la balle en plomb rencontrant un plan indéformable et transformant toute son énergie en chaleur: la quantité d’énergie cinétique reste la même, mais ce qui était énergie de la balle dans son ensemble, considérée par rapport à des axes de référence pour lesquels le plan indéformable est immobile, devient énergie de chaque molécule en déplacement par rapport à d’autres molécules à l’intérieur de la balle. C’est la structure du système physique qui a changé; si cette structure pouvait être transformée en sens inverse, la transformation de l’énergie aussi deviendrait réversible. L’irréversibilité tient ici au passage d’une structure macroscopique unifiée à une structure microscopique fragmentée et désordonnée [On pourrait dire que l’énergie a passé d’un système formel de supports (ordre de dimensions supérieur à celui du théâtre des transformations, qui est la balle) à 1II1 système matériel, d’ordre dimensionnel inférieur à celui du théâtre des transformations, les différentes molécules de la balle. ] ; la notion de désordre exprime d’ailleurs la fragmentation microphysique elle-même; en effet, si les déplacements moléculaires étaient ordonnés, le système serait en fait unifié ; on peut considérer le système macroscopique formé par la balle en déplacement par rapport à un plan indéformable et par ce plan comme un ensemble ordonné de molécules animées de mouvements parallèles; un système microscopique ordonné est en fait de structure macroscopique. (Simondon 2005 [1958]:70)
SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.