Hidrogênio, hélio e rádio em Simondon (2005 [1958])
La nouvelle mécanique restait théorique tant qu’elle s’appliquait aux corps étudiés par la macrophysique ; en effet, la mécanique relativiste est valable pour tous les corps matériels ; elle avait déjà réussi à expliquer « les trois phénomènes en 10-8 » que la mécanique classique ne réussissait pas à expliquer: le déplacement du périhélie de la planète Mercure, constaté depuis longtemps, expliqué par la théorie de la relativité, lui donnait beaucoup de force. La déviation de la lumière par le soleil, observée lors d’une éclipse, confirmait le principe de la relativité restreinte. Le changement de couleur des sources de lumière en mouvement aboutissait à la même confirmation. Cependant, cette théorie de la relativité, qui est une mécanique des mouvements extrêmement rapides, pouvait encore être contestée dans les domaines de la macrophysique. Le Châtelier, dans l’ouvrage intitulé: L’Industrie, la science et l’organisation au ne siècle, déclare en parlant de la théorie de la relativité: « De semblables spéculations peuvent intéresser le philosophe, mais ne doivent pas retenir un seul instant l’attention des hommes d’action qui prétendent commander à la nature, diriger ses transformations ». Plus loin, l’auteur ajoute: « Aujourd’hui la probabilité de voir mettre en défaut les lois de Newton et de Lavoisier n’est pas de l’ordre du milliardième. C’est donc folie de se préoccuper de semblables éventualités, d’en parler et même de s’y arrêter un seul instant ». Le Châtelier appuyait son argumentation sur le fait que la théorie relativiste ne donne des résultats différents de ceux de la mécanique classique que pour les corps animés de vitesses supérieures à 10 000 kilomètres par seconde. « Or, sur la terre, nous ne savons pas produire des vitesses supérieures à 1 kilomètre, celle des projectiles de la fameuse Bertha. Il n’y a guère que la planète Mercure qui possède une vitesse suffisante pour être justiciable des spéculations relativistes. Même dans ce cas, les perturbations prévues sont si faibles que l’on n’est pas encore arrivé à se mettre d’accord sur leur grandeur. » Le second argument est que: « en ce qui concerne la transmutation du radium en hélium, tous les savants qui ont travaillé ce problème ne sont pas encore arrivés à produire ensemble 10 milligrammes de ce gaz. Or, sur les millions de tonnes de matières que l’industrie transforme tous les jours, jamais une exception à la loi de Lavoisier n’a pu être constatée ». D’un point de vue macroscopique et pragmatique, Le Châtelier avait peut-être raison, en apparence tout au moins; il pouvait avec vraisemblance accuser les partisans de la relativité de corrompre par leur « scepticisme» ,à l’égard de la loi de la gravitation de Newton et de la loi de la conservation des éléments de Lavoisier les étudiants trop enclins à suivre les snobs et les philosophes qui proclament que ces deux lois fondamentales de la science ne sont que les vestiges d’un passé désuet, comme jadis Aristophane accusait Socrate de « KatvoÀoyia » dans Les Nuées, devant le public athénien inquiet de voir des idées nouvelles se répandre. Pourtant, il y avait déjà, sur la terre, et dans de simples montages réalisables avec les appareils de physique d’un établissement d’enseignement au temps où Le Châtelier s’élevait contre « la négation de tout bon sens» pour« mettre les points sur les i et s’expliquer clairement », des corps animés de vitesses supérieures à 10 000 kilomètres par seconde: les électrons en transit dans un tube à rayons cathodiques; ces corpuscules appartiennent à la microphysique par leur dimension, mais, dans un tube de quelques dizaines de centimètres de long et avec l’énergie que l’on peut recueillir aux bornes du secondaire d’une bobine de Ruhmkorff, il est possible de leur communiquer une vitesse supérieure à celle des corps célestes les plus rapides: il y a ici rencontre de grandeurs qui, dans l’habituel classement des phénomènes, n’étaient pas de la même espèce. Un corpuscule 1836 fois plus léger que l’atome d’hydrogène se conduit comme une planète, au cours d’une expérience qui est de l’ordre de grandeur du corps humain, et qui demande une puissance comparable à celle de nos muscles. (Simondon 2005 [1958]:123-4)
Cette définition d’une manière nouvelle de penser le devenir, comportant le déterminisme et l’indéterminisme comme cas limites, s’applique à d’autres domaines de réalité que celui des corpuscules élémentaires; ainsi, on a pu obtenir la diffraction de faisceaux de molécules par les surfaces cristallines (Stern, en 1932, a obtenu la diffraction de rayons moléculaires d’Hydrogène et d’Hélium, en vérifiant la relation de Louis de Broglie entre la longueur d’onde et la vitesse, λ = h / mv, à 1 % près). (Simondon 2005 [1958]:142-3)
SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.