Alumínio em Simondon (2005)
Cette sémantique de l’actualité du créé se traduisait, dans l’automobile de 1925, par l’emploi visible d’alliages légers ou d’aluminium ayant un sens fonctionnel dans la construction aéronautique, au moment où la toile était remplacée par des surfaces métalliques; au même moment, on trouve les alliages légers dans les appareils médicaux, dans les agrandisseurs photographiques, dans un très grand nombre d’appareils ménagers, et jusque dans l’ameublement (boutons de porte, poignées). L’utilité du choix de l’aluminium en petites quantités, par exemple pour un tableau de bord d’automobile, est à peu près nulle, car l’ensemble est ainsi allégé de manière infime; mais l’apparition de ce métal au point clef qu’est le tableau de bord permet à l’automobile de parler, dans la communication avec son conducteur, le langage de l’avion; à ce moment, en raison du caractère “pilote” de l’aviation progressant à pas de géant, l’aluminium était un métal plus “technique” que les autres; après la Seconde Guerre mondiale, on vit sur l’automobile de tourisme une prolifération d’automatismes mineurs et d’asservissements ayant une utilité dans la marine et l’aviation, où les masses à mouvoir dépassent la force d’un homme, et où les instruments de bord sont nécessaires. L’emploi d’un matériau manifestant l’actualité ne reflète d’ailleurs pas seulement, au sein d’une technique définie, le prestige d’une technique triomphante en laquelle le matériau a une utilité fonctionnelle; cet emploi correspond aussi à la transposition en tous domaines d’une tendance qui s’est affirmée dans un secteur si général qu’il institue des apprentissages durables et fait rayonner des normes perceptives et opératoires; la maison à [284] vastes surfaces vitrées a imposé à l’automobile ses grandes glaces presque planes, comparables à des baies, victorieuses de l’aérodynamisme des formes; comme le placard intégré aux murailles, le coffre à bagages de l’automobile, jadis rapporté à la carrosserie de l’extérieur, fait maintenant partie de l’ensemble et reçoit un grand développement. Chaque objet créé participe ainsi à l’activité contemporaine de création selon des modalités générales unifiant les solutions et les alignant, soit sur les techniques de pointe, soit sur les réalisations dont l’usage constant impose des normes communes à l’ensemble d’une population, par exemple l’habitation moderne. Cette communication entre les couches moyennes des objets créés fait qu’il existe à chaque moment non pas seulement des collections parallèles des objets créés répartis selon les catégories d’usage, mais un monde des objets créés, une création. (Simondon 2005:283-4)
SIMONDON, Gilbert. 2005 L’Invention dans les techniques. Paris: Éditions du Seuil.