Neônio, argônio e mercúrio em Simondon (2005 [1958])
Cette première découverte inductive fut suivie d’une deuxième qui manifeste la même méthode et aboutit au même résultat. Après 1895, date de la découverte des rayons X, on montra que ces rayons peuvent rendre les gaz conducteurs, en créant une conductibilité identique à la conductibilité électrolytique, dans laquelle des charges électriques sont transportées par des ions, provenant cette fois non de la décomposition d’une molécule, mais de celle des atomes eux-mêmes, puisque ces ions existent même dans un gaz monoatomique comme l’argon ou le néon. Cette décomposition permet à l’induction de faire un pas de plus dans la recherche des structures: l’électron de Stoney restait une quantité d’électricité associée à une particule physique insécable; il devient maintenant plus substantiel, parce que l’ionisation des gaz exige une représentation structurale dans laquelle la charge électrique négative est libérée de ce lourd support qu’était l’ion électrolytique. Enfin la découverte des structures a pu parcourir deux ans plus tard une nouvelle étape. Si l’on se borne à mesurer les quantités d’électricité qui passent à travers une colonne de gaz ionisé, on peut concevoir l’indépendance de l’électron par rapport à toute particule matérielle lourde. Mais cette indépendance reste abstraite; elle est le principe expérimental qui permet de sauver les phénomènes. Si au contraire on pousse la recherche expérimentale plus loin en essayant d’analyser physiquement le contenu du tube à décharge, lorsque la pression de gaz diminue, on obtient l’espace obscur de Crookes qui envahit tout le tube lorsque la pression tombe à 1/100e de millimètre de mercure; cet espace, qui s’est développé à partir de la cathode, très progressivement, tandis que la pression décroissait, réalise en quelque manière l’analyse physique de l’ensemble primitivement continu qu’était le gaz ionisé, dans lequel on ne pouvait discerner les électrons libres des autres charges électriques, à savoir les charges positives, portées par les ions. On a pu alors supposer que l’espace obscur de Crookes contenait des électrons libres en transit. Les expériences sur les « rayons cathodiques» furent considérées comme des expériences sur les électrons libres. Certes, on pourrait dire que dans cette dernière expérience la discontinuité des électrons disparaît en même temps que leur association avec un phénomène tel que l’ionisation d’un liquide ou d’un gaz, dans laquelle ils se manifestent comme charges de grandeur fixe associée à des particules. Toutes les expériences que l’on fit à ce moment sur les rayons cathodiques étaient macrophysiques et montraient l’existence de charges électriques en transit dans le tube, sans indiquer une structure microphysique discontinue; on ne pouvait faire l’expérience sur un seul électron; la luminescence du tube de verre, la normalité des rayons par rapport à la cathode, leur propagation rectiligne, leurs effets calorifiques et chimiques, le fait qu’ils transportent des charges électriques négatives, leur déviation sous l’influence d’un champ électrique et d’un champ magnétique, sont autant d’effets macrophysiques d’apparence continue. Cependant, en raison même de la démarche inductive au terme de laquelle cette découverte était obtenue, il était nécessaire de supposer que ces rayons cathodiques étaient faits de particules discontinues d’électricité, parce que l’on rendait compte ainsi de la structure de l’expérience: les électrons du gaz ionisé mais encore indifférencié dans la décharge disruptive sont, d’après la structure de l’expérience, identiques à ceux qui occupent l’espace obscur de Crookes ; ces derniers sont identiques à ceux qui forment les rayons cathodiques. Les électrons de l’ionisation d’un gaz au moment de la décharge disruptive ou non disruptive sont identiques à ceux qui sont véhiculés par les ions négatifs dans l’électrolyse d’un corps. (Simondon 2005 [1958]:118-9)
SIMONDON, Gilbert. 2005 [1958]. L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Grenoble: Éditions Jérôme Millon.