A questão latouriana (Latour 2011)
LATOUR, Bruno. 2011. Avoir ou ne pas avoir de réseau: that’s the question. In: Madeleine Akrich; Yannick Barhe; Fabian Muniesa; Philippe Mustar (orgs.). Débordements: mélanges offerts à Michel Callon. Paris: Presses de Mines, pp.257-67.
DIDEROT
Depuis le début, c’est bien dans le Rêve de d’Alembert de Diderot que nous avions placé l’origine de ce terme de rets ou de réseau, bien avant que la toile d’Internet d’une part, l’analyse des réseaux sociaux, d’autre part, ne viennent ajouter d’autres affûtiaux à notre créature commune. (Latour 2011:1)
TRADUÇÃO (entre ator e rede)
Ce qui choque dans l’acteur-réseau et ce qui nous fait toujours accuser de duplicité, c’est que nous définissons un acteur par la liste de ses relations – son réseau donc – alors que nous ne définissons un réseau que par la liste des acteurs qui le composent. La duplicité vient de ce que si la première expression est juste – un acteur n’est que ses relations – on ne voit pas pourquoi on ne s’en tient pas tout simplement au réseau puisqu’il devrait suffire à définir tout ce qui est important dans les acteurs. Et pourtant, nous basculons aussitôt (car nous aussi nous avons notre jeu de bascule), dans un argument où, tout à coup, c’est l’originalité et, pour lui donner son nom exact, l’irréductibilité de l’acteur qui passe au premier plan. C’est qu’il manquait à la simple liste des relations cette transformation profonde que chaque acteur fait subir à ses relations si bien que, malgré ce que nous disions la minute d’avant, non, finalement, un acteur ne se définit plus simplement par la liste de ses relations… Ou plus exactement (mais s’agit-il simplement d’une habileté de langage ?), un acteur c’est la liste de ses relations plus la transformation que chacun des items de la liste a subi au voisinage ou à l’occasion de cette relation. Ce petit plus que nous ajoutons en douce a reçu un nom canonique : celui de traduction et a fait l’objet du premier article publié par Michel Callon (Latour 2011:1)
MEDIAÇÃO (princípio da irredução)
Avec ce principe [d’irréduction], apparaissait la notion clef de médiation qui a fait la fortune (intellectuelle en tout cas) du CSI. Pour résoudre le problème de l’acteur et du réseau, il faut toujours, en pratique aussi bien qu’en théorie, passer par un troisième terme, la médiation, qui permettra de suivre par quelle traduction précise telle ou telle
relation participe à la définition d’un acteur quelconque. (Latour 2011:4)
MEDIAÇÃO e TRADUÇÃO (entre o ator e a rede)
l’enquête commence par une médiation, suit ou enfile les traductions et tombe sur une série de surprises ou d’épreuves où se noue et se dénoue la question même des acteurs et de leur réseau (Latour, 2006). Notre intérêt n’a donc jamais été de définir s’il fallait « partir des individus » ou bien « partir de leurs relations » puisque ces deux étapes sont toutes les deux secondaires par rapport aux termes premiers de médiation et de traduction. (Latour 2011:5)
TAR (método de pesquisa e não ontologia social)
La théorie de l’acteur-réseau n’est pas une théorie sur la nature du monde social (ce n’est pas une métaphysique du social), mais une théorie sur l’enquête en science sociale. (Latour 2011:6)
[D]ans sa version graphique, l’acteur réseau n’est défini que comme un point dénué d’épaisseur défini strictement par la liste de ses liens. […] Mais […] l’acteur-réseau est une théorie de l’enquête et non pas une description des êtres du monde : le réseau, au sens technologique, est le résultat de la mise en place d’un acteur-réseau (soit par l’enquêteur, soit par ceux dont il suit la trajectoire). (Latour 2011:9)
SOCIAL x ASSOCIAÇÕES
les sociologues du social expliquent le social par une liste délimitée à l’avance d’êtres qui composent la société ; la théorie de l’enquête proposée par l’acteur-réseau consiste à inventer à chaque fois un compteur nouveau qui va permettre d’enregistrer par l’intermédiaire des associations surprenantes les êtres qui composent les associations (les « alliés » […]). (Latour 2011:7)
c’est le devoir des sociologues du social de définir d’avance les êtres, et c’est le devoir des sociologues de l’association de ne pas les définir d’avance. (Latour 2011:7)
RELAÇÕES entre NÓS x NÓS de RELAÇÕES
L’opposition est en effet totale si l’on prend le réseau au sens technologique ou visuel d’un graphe fait de points reliés par des lignes et si l’on définit un point par le croisement de deux lignes. (Latour 2011:8)
ONDA-PARTÍCULA
Donnez-vous une liste de qualités, vous ne définirez aucun acteur puisque l’acteur se définit par la modification (la traduction) qu’il va faire subir à chacune des qualités qui le définissent (et donc le définissent « mal » ou du moins « pas tout à fait »). Inversement, essayez de définir un acteur (une essence, une substance) et aussitôt vous serez dirigés ou déplacés parfois très loin dans la liste des relations ou des attributs qui le définissent. Autrement dit, les deux prises possibles – partir d’un acteur ou partir de ses attributs – manquent l’une après l’autre. Ce n’est plus un jeu de bascule, c’est un problème théorique fondamental qui rappelle un peu, toutes proportions gardées, l’onde-corpuscule de la physique d’entre-deux-guerres.. (Latour 2011:11)
OS 4 MOMENTOS DO MOVIMENTO DA PESQUISA (a “originalidade” da TAR)
Supposons qu’on vous parle d’un collègue que vous n’avez jamais vu […] [:] Ztefan Zhshizki. […] 1° quand j’entends pour la première fois parler de Ztefan Zhshizki, aucun attribut ne lui est justement attribué en propre et donc ce n’est même pas un nom propre, mais un simple flatus vocis aussitôt oublié ; 2° quand je commence peu à peu à enquêter sur le web, « Ztefan Zhshizki » est entièrement réductible à la liste peu à peu dressée de ses relations, à ceci près que, 3° à force de les entrer une à une dans la définition de Ztefan Zhshizki chacune commence à subir des modifications dues à la présence des autres déjà en place (par exemple : comme c’est étrange, ce même psychanalyste qui a travaillé avec Lacan est aussi champion de golf et l’inventeur d’un psychotrope qui fait de lui le conseiller d’une grande compagnie pharmaceutique suisse ? ) ; 4° à force de modifier chaque relation que j’entre dans ma base de données mentales à cause de ce que lui fait subir la présence des relations déjà recueillies, je vais commencer à inverser le sens des entrées et des sorties et me mettre à résumer l’ensemble de la base maintenant très longue par l’expression d’un nom devenu peu à peu enfin vraiment propre « Ztefan Zhshizki ». Dans quelques années peut-être j’utiliserai même ce nom propre comme un nouveau nom commun, une nouvelle relation pour définir quelqu’un d’autre en disant « décidemment, celui-là c’est un vrai Ztefan Zhshizki », transformation qu’ont subi aussi bien Kafka, Poubelle que Socrate ou Guillotin. (Latour 2011:15, 17)
tout le problème de se représenter les monades [atores-rede] c’est de pouvoir suivre visuellement ce mouvement d’accordéon par lequel, [1] à un moment donné de l’enquête, elles ne sont qu’un point sans attribut ; [2] au moment suivant un point composé de la simple intersection de qualités venues d’ailleurs ; [3] puis au moment suivant – tout est là – un espace composite propre et irréductible qui inclue dans une enveloppe (une sphère pour Sloterdijk, une société pour Whitehead) les attributs que l’on retrouve maintenant transformés et traduits [4] au point qu’ils semblent émaner d’elle […] avant peut-être de subir encore bien d’autres transformations, de se trouver réduits à un point par une autre monade ou au contraire de les englober toutes. (Latour 2011:21)
QUESTÃO DE VISUALIZAÇÃO
La question se pose donc de savoir pourquoi l’on s’est obstiné et l’on s’obstine toujours à représenter graphiquement le tracé d’un acteur-réseau en se limitant à l’une seulement de ses manifestations (le deuxième moment dans l’exemple choisi) alors que les suivants seraient bien plus significatifs. Est-ce un défaut définitif des techniques de visualisation numérique ? Est-ce un manque d’imagination de notre part ? Est-ce faute de comprendre exactement le mouvement propre de l’acteur réseau – un graphe n’est pas du tout un acteur-réseau ?. (Latour 2011:22)
O “MOVIMENTO-SANFONA” (tornado visível pelas tecnologias digitais)
[C]e phénomène d’accordéon par lequel je puis très vite passer des attributs à la substance et de celle-ci aux attributs, est rendu visible pour une multitude d’événements par les technologies numériques alors qu’il y a trente ans, quand nous avons commencé les science studies, on ne pouvait les percevoir que dans les seuls cas des innovations savantes et techniques. […] Avant les techniques numériques, nous n’aurions jamais eu cette expérience frappante de la composition et de la décomposition des images. Il y a bien une philosophie associée au numérique et c’est bien vrai, en fin de compte, que la théorie de l’acteur-réseau s’y trouve, malgré tous les dangers de confusion, comme un poisson dans l’eau. (Latour 2011:19, 20)
TOMAS SARACENO
On remarque en effet que les sphères (et même les sphères à l’intérieur d’une sphère comme les ribosomes à l’intérieur d’une cellule) sont bel et bien définies par des relations et uniquement par elles (comme les noms propres de tout à l’heure par l’ensemble de leurs attributs) et que pourtant, il y a bien une différence entre les points définis par de simples intersections (les réseaux anémiques que je critiquais plus haut) et les enveloppes. Mais cette différence n’est pas obtenue par un changement de vocabulaire ou de médium (comme si l’on passait des relations aux êtres, des fils aux enveloppes), mais seulement, et c’est là tout l’intérêt de cette œuvre d’art, par la densification des relations qui finissent localement par « faire bord » et « faire frontière ». Une enveloppe, après tout, n’est qu’un réseau plus ramassé de même qu’un réseau n’est qu’une enveloppe un peu plus lâche. On doit pouvoir passer de l’une à l’autre, sans avoir pour autant à sauter de l’approche par les attributs à l’approche par les substances. Or, ne pas faire de saut, c’est là l’exigence suprême de l’enquête puisque c’est la continuité de l’acteur et du réseau qui assure la traçabilité des données. L’œuvre de Saraceno résout visuellement l’un des puzzles de l’acteur- réseau puisqu’elle obtient les entités sans avoir à entourer des relations par un volume venu d’ailleurs et qui appartiendrait de ce fait à une autre ontologie. […] Inversement, on peut imaginer que si l’on avait le droit de tirer sélectivement sur les élastiques qui composent l’installation, on passerait peu à peu d’une enveloppe déchirée à une intersection puis à une simple droite. Comme le prouve cette installation, la rupture entre l’acteur et le réseau, l’être et les relations, l’imaginaire des sphères et l’imaginaire des filets n’est probablement due qu’à un manque d’imagination de notre part. (Latour 2011:24, 25)